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En 1989, quand j'ai commencé mon travail sur les femmes en prison, je disposais de très peu d'informations sur l'incarcération féminine. Le sort particulier des femmes détenues était peu abordé, elles étaient reléguées à la catégorie “ tous détenus confondus”.

J'ai découvert, en rencontrant de nombreuses détenues dans plusieurs pays du monde, que la condition des femmes en prison est très différente de celle des hommes. La plupart du temps, les femmes arrivent en prison déjà cassées par des années - quand ce n'est pas une vie entière - d'abus physiques et sexuels exercés sur elles par les hommes. Ces femmes continuent de suivre aveuglément les hommes qui ont abusé d'elles. Beaucoup d'entre elles ne se définissent qu'à travers un homme, et pour certaines jusqu'au crime.

Souvent, la femme qui est avec un homme délinquant ne sait pas qu'il a des desseins criminels et, quand il tombe, elle tombe avec lui. Une fois derrière les barreaux, les femmes ont très peu de programmes de formation. Le travail qu'on leur propose est limité et débilitant. Il n'est pas pensé en fonction d'une réinsertion possible, mais tend à les maintenir dans des stéréotypes d'autrefois : le linge, la couture, le cartonnage. Quand on s'étonne de ce manque cruel de programmes, le prétexte invoqué est toujours le même : leur faible nombre. Pourtant, que les détenues soient 2 ou 500, l'administration a le devoir de s'en occuper.

Je me suis aussi rendu compte que les femmes sont incarcérées dans des structures et soumises à des règlements conçus le plus souvent par et pour des hommes.

Dans les établissements non spécialisés dans l'accueil des femmes, tout ce qui peut évoquer la féminité pour une femme est généralement interdit - vernis à ongles, sèche-cheveux, laque, bijoux (sauf l'alliance ou une médaille religieuse) -, autant de détails qui mènent à une “ négation de leur identité”.

En Russie, les gardiens se promènent librement dans le quartier des femmes sans avertir de leur présence. En France, bien que cela soit interdit, j'ai vu des gardiens masculins dans les quartiers de femmes. Aux États-Unis, où les gardiens hommes sont plus nombreux que les gardiennes, on note énormément d'abus sexuels, pour lesquels le gardien est rarement puni, seulement muté. En France, les gardiens et gardiennes s'adressent bien souvent aux femmes de façon agressive et humiliante. On tutoie les détenues, on les appelle par leur nom de famille. On leur gueule dessus, comme à l'armée, au lieu de leur parler normalement. Le courrier n'est pas lu par quelqu'un d'extérieur au quartier, mais par un surveillant ou une surveillante qui utilise les informations contenues dans les lettres pour blesser les détenues, leur montrer qu'il sait tout sur elles - une violation de leur vie privée. Après une fouille de cellule, les effets personnels sont sens dessus dessous, parfois même abīmés, jetés par terre et laissés là. Des toilettes sans siège se trouvent en plein milieu de cellules occupées parfois par 6 femmes, sans même un rideau pour protéger leur intimité. L'hygiène est déplorable. Le manque d'activité fait qu'en France, les détenues passent 23 h sur 24 en cellule, sans rien à faire. Elles prennent leur repas en cellule. La détenue est donc presque tout le temps isolée.

Beaucoup de femmes qui arrivent en prison souffrent de formes de maladies vénériennes et n'ont jamais été soignées. Elles sont toxicomanes et se sont prostituées pour payer leur drogue. Elles peuvent être atteintes de maladies multiples : syphilis, gonorrhée, hépatite virale, infections dues au VIH.

On ne peut pas parler de détention féminine sans évoquer la maternité. En général, les prisons de femmes ne reçoivent pas de budget supplémentaire pour faire face aux soins médicaux liés à la maternité. Des femmes arrivent en prison enceintes et y accouchent, parfois menottées. En France, en Russie et en Suisse, une femme peut garder son enfant avec elle en prison jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge de 18 mois. Dans tous ces pays, j'ai vu des nurseries ; mais en France, dans la plupart des cas, les bébés vivent dans les cellules avec leur mère et une codétenue. Quand l'enfant doit partir, la séparation est d'autant plus cruelle et brutale.

Si les femmes en prison sont plus nombreuses aujourd'hui, c'est parce que les lois concernant la drogue ont été modifiées, et que la politique pénale a changé. 89 % des femmes sont enfermées pour des délits non-violents - chèques sans provision, vol de chéquiers, fausses cartes de crédit, usage ou vente de stupéfiants. En effet, presque toujours, les premiers délits sont liés à la drogue, et de plus en plus de femmes sont arrêtées et condamnées pour ces motifs.

J'ai raconté tout cela par des textes et des photos dans le livre Trop de peines, femmes en prison, récemment sorti en France aux éditions Albin Michel. Le livre de Véronique Vasseur (Médecin-chef à la prison de la Santé, éditions du Cherche-Midi) a, par ailleurs, alerté la société française sur le sort des hommes en prison. On parle beaucoup des prisons en ce moment - mais pour combien de temps ?

En France, une nouvelle politique (dont peu de gens sont au courant) interdit aux journalistes, photographes, et cinéastes de filmer ou de photographier les détenus, hommes ou femmes, durant leur incarcération, même si ces derniers le désirent. Cela signifie que les personnes incarcérées, déchues du droit de témoigner à visage découvert, sont réduites à de simples statistiques, n'existent plus en tant qu'êtres humains. Cet abus de pouvoir renforce encore l'opacité de la prison, bafouant la prétendue “ouverture” actuelle, qui n'est qu'une vaste mascarade. Cette ouverture n'existe pas dans les faits, les prisons sont encore plus fermées qu'avant.

Les informations qui vont suivre ont été collectées au sein de l'Observatoire international des prisons (OIP). J'ai eu connaissance de l'existence de l'oip peu de temps après avoir commencé mon travail sur les femmes en prison. L'Observatoire faisait le même travail que moi, sauf qu'eux travaillaient avec les paroles, moi avec les images. Tous les ans, l'OIP publiait un rapport international. Chaque année, ce rapport était un peu plus épais, le nombre de pays traités augmentait, les vies derrière les barreaux apparaissaient plus clairement, les conditions de détention y étaient dévoilées et l'inacceptable dénoncé. Le siège international de l'OIP à Lyon a dû fermer en octobre 1999, après 10 ans d'activité. La cause des personnes détenues semble trop faible pour assurer le financement d'une organisation dont la mission est le respect de leurs droits. Les grands bailleurs de fonds ont tendance à soutenir de plus en plus volontiers les projets de coopération avec les États, des projets “ politiquement corrects”, plutôt que le travail indépendant de l'OIP, terriblement nécessaire, qui dénonce toutes les situations dramatiques, inacceptables, et néanmoins omniprésentes dans le monde clos et secret qu'est encore la prison.

Dans les prisons du monde entier, j'ai pu constater que des femmes subissent les pires traitements, qu'elles sont brisées moralement à force d'humiliations. Il est plus que jamais important d'obtenir une transparence réelle et définitive sur le sort des personnes incarcérées - qu'elles soient hommes ou femmes. Mais aujourd'hui, et malgré tout le bruit qui court sur les prisons, notre société tourne systématiquement le dos à ces femmes, de fait réduites au silence.

 

Jane Evelyn Atwood, photographe,
Paris, février 2001